VIELLEUX DE VENDEE

“La vielle do malhur”

                        Les vielleux de Bournezeau

                        Instrument qui semble venir de la nuit des temps, la vielle paraissait déjà démodée en 1861 lorsque Amédée de Béjarry écrivait « regretter la disparition de la veze et de la vielle au profit du violon criard ».

   De nos jours, il n’y a plus beaucoup de vielleux en Vendée, mais vers 1900, il s’en trouvait encore un bon nombre pour faire danser les filles et les garçons aux assemblées, noces, moissons ou battages.

 

  
La vielle ronde de Bournezeau,  signée “Colson”.

   Dans les années 1970, on recensait dans le département une trentaine de vielles, dont une quinzaine de “vielles plates”, la plupart construites autrefois, pendant les veillées d’hiver, par les “routiniers” eux-mêmes : ceux qui allaient par les routes faire “sonner” leurs instruments dans les fêtes ou les assemblées. On connaissait aussi trois “vielles rondes” fabriquées par des luthiers, dont celle de Bournezeau. L’origine est inconnue pour les autres. En ce qui concerne  les différents types de vielles, un sonneur de Saint-Hilaire-le-Vouhis, Monsieur Lorieau, expliquait :

   « O l’a dus sortes de vièles, les males, é  pi les fumèles. Ma, o l’ét in male que y’é, pasqu’al  ét  pllate. Les fumèles étant bès pu reondes ».

   On sait qu’au moins treize vielleux exerçaient régulièrement leur art dans les veillées ou les noces avant la Première Guerre Mondiale. Il y en eut davantage, une quinzaine, durant l’entre-deux -guerres. Mais l’on n’en comptait plus que trois après 1946. Dans les années 1980, un renouveau semble apparaître : On voit neuf apprentis vielleux s’exercer lors d’un stage, en 1984, à Vouillé-les-Marais et, en 1985, nait à Commequiers « l’Association des sonneurs de vielle en Vendée ».

   Il était fréquent de voir ces instruments utilisés par plusieurs générations de musiciens dans une même famille. C’est le cas à Bournezeau dans une lignée de forgerons, où la vielle de Pierre Mercereau, dit  “Robin”, né le 5 mars 1820  à Fougeré, échut, un siècle plus tard en 1934, à Alphonse Bernereau, par l’intermédiaire de son oncle maternel “Tonin”, un des fils de Pierre.

 

       
Pierre  Mercereau (1830-1875)

   C’était une magnifique vielle “ronde” qui avait été fabriquée par le luthier Colson de Mirecourt dans les Vosges, venue jusqu’en Vendée - par quel chemin ?  -  pour distribuer de la joie et faire danser dans les assemblées.

   Pierre Mercereau (du nom de sa mère, car né de père inconnu) débuta son métier de forgeron à la Pelonnière où grâce à de bonnes affaires il acquit très vite tout le village. Puis il décida   d’installer sa forge à Bournezeau, dans les bâtiments de la ferme de la Grolle, tout de suite à droite en montant vers La Roche, à même pas cent mètres du tournant du bas-bourg. Cela correspond à peu près à l’arrière des bâtiments Genet (la Poste) qui à l’époque n’existaient pas. Par la suite, Alphonse Bernereau a exercé au même endroit, la forge à l’arrière de la maison d’habitation qui donnait sur la rue.

   Bon artisan, l’enclume sonnait à plein et le commerce de Pierre Mercereau était florissant.  Mais bientôt, la passion de la vielle le prenant, il délaissa sa forge pour ne plus faire que de la musique…

   « l’ét terjou rendu après sounaïe », se plaignaient ses clients. Ses affaires périclitèrent et après avoir “mangeaïe la baline”, la famille fut ruinée. «O l’ét à cause de t’chette vielle do malhur » se lamentait son fils Pierre, menuisier (qui fut le père d’Eugène Mercereau).  

à droite, Pierre Mercereau à sa forge  
à gauche, un de ses fils, Henri.
Au centre, le“compagnon”, Beaufour.

   Ruiné, le vielleux mourut le 13 août 1875. Malgré tout, l’aîné des fils, Antonin Mercereau, dit « Tonin », demi-frère de Pierre, reprit la forge et remit l’entreprise sur pieds. Malheureusement il avait aussi “repris” la vielle! Ce qui finit là encore par lui causer sa perte.

   Bon vielleux, bon chanteur, fier buveur et bon vivant, Tonin jouait de la vielle un peu partout en campagne et bourgs voisins, dans les fêtes et les noces, là où on avait besoin de mettre de l’ambiance et de la gaité. Mais la passion de la musique l’avait “enjominé” lui aussi et il finit par négliger sa forge.

   Sollicité pour animer une journée de noces du côté des Moutiers-sur-Lay, la fête terminée et sans doute copieusement arrosée, il rentrait sur Bournezeau en charrette à cheval. En traversant les ponts sur le Lay à la sortie du bourg, le cheval étant sans doute mal guidé, le moyeu d’une roue heurta le parapet, la charrette renversa entrainant instrument et musicien dont la tête heurta violemment le granit. Tonin en réchappa de justesse après fracture du crâne et trépanation. La vielle fut sauvée aussi. Mais lui ne s’en remit jamais tout à fait. Handicapé, il s’arrêta de courir noces et veillées  et mourut le 17 février 1934.

   La famille Mercereau ne voulant plus entendre parler de cette “vielle do malhur”,  Alphonse Bernereau, le neveu de Tonin, accepta de s’en charger : il en hérita.

   Ayant la vielle entre les mains, Alphonse apprit à en jouer. Mais raisonnable, il s’occupa d’abord de faire prospérer sa forge. Il se produisit beaucoup moins que ses prédécesseurs, jouant pour son plaisir et pour faire plaisir. Pour un temps, la "vielle do malhur" a quand même fait du bonheur alentour dans les veillées ou les fêtes de la famille.

   Jean Bernereau se souvient que son père allait parfois faire un peu “d’animation” dans certains cafés de la place du Champ de Foire et faisait sonner sa vielle chez Renaud au Café des Amis ou au café Chauveau… Il se rappelle aussi qu’Alphonse se déplaçait dans les fermes pour des veillées ou des noces, chez Avril au Chêne Bertin, à Fremier, chez les Paquereau, et d’autres.

 

Alphonse Bernereau - forgeron à Bournezeau
(1891-1961)

   Il participait également à des veillées plus intimes chez des voisins ou amis : chez Berthe Tricoire, les bourreliers sur la place (actuelle bijouterie Jaulin) ou chez Joseph Lebœuf, le coiffeur de la rue du Centre, son camarade de communion. Tous deux mariés à des  “toulousaines” rencontrées dans ce midi où, réunis par le hasard, ces soldats de la Guerre 14-18 avaient été mis en retrait pour raison de blessures. Une demoiselle Germaine Labatut pour Alphonse Bernereau. (à ne pas confondre avec la  propre épouse de Jean, Germaine, elle aussi !)

   Alphonse prenait goût à cette activité. Et peu à peu ces sorties, qui se faisaient à vélo, la vielle bien à l’abri dans sa caisse sur le porte bagage, commencèrent à se faire plus fréquentes. Mais son épouse veillait au grain. !

  

  
Alphonse Bernereau jouant de la vielle.

   Une des dernières veillées, et pour cause vous allez le comprendre, s’est passée chez Raoul Lorieu à l’Oisellière : La soirée s’était passée au mieux pour le plus grand plaisir des amateurs de musique , de chansons et de danses et sans doute copieusement arrosée de “remontant” pour aider Alphonse à tourner la manivelle de la vielle et rafraîchir son gosier de chanteur. La fête finie, au moment du retour, vers les trois heures du matin, le vélo parut récalcitrant : impossible de le chevaucher ! Prudent Alphonse décida de faire le chemin à pied jusqu’au bourg en s’appuyant au guidon, la vielle sur le porte bagage dans sa caisse en carton. Arrivé sans encombres à la maison, il rangea le vélo à la forge, rentra avec précaution, déposa la caisse de la vielle sur la table et, à quatre pattes, réussit à monter l’escalier sans faire de bruit pour se coucher.

   Germaine ne fut pas dupe. Dès le matin ce n’est pas la vielle qui a sonné mais les oreilles d’Alphonse qui se prit un sermon bien senti !

   Pas tranquille, le copain Raoul s’est rendu de bonne heure au bourg pour savoir si le retour de l’artiste s’était bien passé et frappa à la maison Bernereau. Il fut reçu vertement par dame Germaine qui lui envoya à travers la porte avec son accent toulousain :

   - « Mon sacré fi-de-garce, t’es pas prêt d’la r’voir la vielle ! »

    « Ma mère avait, elle aussi, toujours considéré cet instrument comme un objet maléfique et ne voulait pas qu’arrive à nouveau ce qui s’était passé autrefois », explique Jean Bernereau.

   La vielle fut rangée pour ne plus sonner.

   Cependant, vers 1950, Alphonse fut sollicité lors de la fête d’un 14 juillet : Nouveauté pour l’époque, l’électricien Louis Texier avait installé une sono dans tout le bourg. La vielle eut droit de sortie exceptionnelle pour ravir une dernière fois les bournevaiziens avec une complainte, un avant-deux ou la fille de la meunière.

   « Au décès de mon père en 1961, » - nous dit Jean Bernereau – « dans les circonstances du partage de ses biens, l’instrument faillit être vendu. Je m’y suis fermement opposé et l’héritage de la vielle est allé à mon fils aîné Jean-Pierre, petit-fils d’Alphonse ».

 

Gérard  s’occupe de la vielle le jour du mariage de son frère Jean-Pierre.

   La vielle sortit de sa léthargie 14 années  plus tard, pour être montrée le jour du mariage de Jean-Pierre en 1975, le bon état de l’instrument put être vérifié : il était toujours jouable.

   Mais la grand’mère intervint. Il fallut bien vite remettre l’instrument au placard dans sa caisse. La vielle y est toujours, précieusement conservée chez Jean-Pierre, mais elle n’a plus jamais sonné.

    Sources : J.L. Lequellec (Vielles et vielleux en Vendée -1979), et les mémoires de Jean Bernereau et Marie Chauvet (fille de Raoul Lorieux).
    Avec l’accord de Pierrot Mercereau.
 
     - photos : Famille Bernereau.

André Seguin